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LE CLOWN TRISTE





Le clown triste. Encore une histoire à la con.


Riez, Mesdames, Messieurs, tant que vous pouvez. Il est entré sous le feu des projecteurs et les applaudissements ont déchiré la toile. Son petit chien jaune se tortille deux mètres en avant , et lui, il pousse une énorme sphère colorée : la terre, ses continents, ses océans, ses êtres vivants. Mais, décidément, non, ce n’est pas comme d’habitude.

Il n’a pas l’élan, son maquillage ne se fend d’aucun sourire ; pas de « Bonjour les Enfants! Comment ça va ? ». Rien de tout cela. Assis. Il n’annonce même pas le nom de son chien quand celui-ci, qui sent tout, vient se coucher aux pieds, gémissant.


C’est encore maintenant. Une main sur la sphère, et puis rien. Le silence. Le silence suspend le temps. C’est vous dire, aucun gsm n’ose sonner, même.


« Mais, qu’est-ce qu’il a ? Il pleure ? Il fait semblant de pleurer » commence-t-on à murmurer dans la salle, tandis que le directeur du cirque se tord les boyaux « Mais il va faire son numéro, cet imbécile ? Il a envie d’être viré, ou quoi ? »


Non, il ne fait pas semblant, le clown. Cet homme pleure, pleure vraiment, des larmes qui viennent du plus profond de lui. Et ça dure.


Le public, un instant décontenancé, commence à réagir. Quelqu’un se hasarde à lancer un applaudissement. Un, puis deux, puis trois, puis toute la salle. « Musique », crie le directeur ; il ne va pas se laisser faire par un idiot, il a du métier, lui, il sait comment mener sa barque. Il commence à voir le parti qu’il peut tirer de la situation.

Le clown ne réagit pas aux applaudissements, il est perdu, penché, les bras enserrant cette sphère, la terre ; il se liquéfie. Et ça dure, ça dure. Une éternité.


« Aux grands maux, les grands remèdes –vocifère enfin le directeur- enlevez-moi ÇA de MA scène ». Un garçon de piste écarte le chien d’un coup de pied, deux autres soulèvent et emportent la chaise sur laquelle le clown est toujours assis. C’est le Directeur en personne qui s’occupe de jeter en touche cette terre immonde. Mais il s’y prend tellement mal que la baudruche explose. Cette détonation est prise en relais par un tonnerre d’applaudissements d’une salle debout. Les « Bravo » fusent. Un triomphe. « D’un désastre, j’ai fait un triomphe ». « Génial –lance-t-il au clown effondré- on remet ça demain ». Mais...


Mais Clown sans âge sait qu’il n’y aura pas de lendemain. Il se sent à bout, plus de sens à sa vie dans ce monde. Comme il devient, ce monde. Qui sommes nous,… que… trop pesant tout cela. Assez, assez !!! Il va fermer sa porte pour la dernière fois, quand, quand…. deux enfants l’en empêchent. « Bonjour Monsieur, dis, tu veux bien nous apprendre ton métier de clown triste ? »

Et son chien lui lèche la main; son chien, jaune comme le soleil.


Luc Delvaux


#Le Clown triste

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