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L'HISTOIRE VRAIE

Dernière mise à jour : 26 avr. 2022


Photo: Yves Schepens lors de l'expo' au Mont de l'Enclus en 2017




A moi, amis, l’histoire vraie, d’un jet. Le principal protagoniste, qui s’en est épanché, souhaite dans tous les cas, garder l’anonymat ; je l’appellerai Cul ; il faut bien le nommer pour la clarté du récit. Pour les mêmes raisons de respect de la vie privée mais de facilité de compréhension, les autres noms seront également d’emprunt.


Dans son habit noir, tête enfoncée, vers le haut dans un chapeau, rond, couleur corbeau, et, vers le bas, dans le col relevé (le contraire, l’inverse, eut été surnaturel), Cul marche sur un trottoir sans fin, gris. Son pas, déjà, dénote sa hâte. Mais sur la droite, sur le pavé de la rue, un individu passe à l’abordage, une bobine ronde, long manteau couleur chamois. Nous l’appellerons « Chamoisette». « Monsieur, Monsieur,-la voix d’une gentillesse feinte, d’un vrai fiel- vous avez des enfants, des petits-enfants, ça se lit sur le bout de votre nez. Faites-leur un grand, un immmmense plaisir, offrez-leur à chacun un nounours. C’est pas cher, ils sont en solde ». Apparaissent devant les yeux de Cul qui, encore, accélère, une multitude de peluches de toute taille, grimaçantes, tantôt à gauche, tantôt à droite, en haut, en bas, plus loin, plus près….. On ne la lui refait pas, à Cul, qui comprend de l‘île de l’œil, de la péninsule de son pif, que c’est du « Made in Nicha », plein de composants pas nets. Il ne dit pas un mot, presse le pas autant que faire se peut, court, presque. Chamoisette s’accroche, au milieu des peluches, tête disparaît, revient, ricane, insiste. « Ne soyez pas un pépé indigne, achetez, offrez, et surtout, ne me dites pas que vous n’avez qu’une petite pension.. » Grimaces, voix doucereuse, puis moqueuse, puis menaçante… rien n’y fait. Cul poursuit sa course. Mais au bout du compte, excédé, il lance enfin à Chamoisette « Oui Môôôssieu, j’ai de la progéniture, et si j’ai des petits-enfants, j’ai aussi des belles-filles, sachez-le, et celles-ci, à raison, ne veulent pas que j’offre n’importe quoi. C’est que vos mââchins, c’est plein de composants agressifs, toxiques ou dangereux. Vous ne voudriez quand-même pas, non mais ! » Surprise : Cul entend, d’une vieille dame qui, soudain, accompagne Chamoisette, un « C’est bien vrai, ça ». Chamoisette en reste éberlué et disparaît, comme happé par les pavés de la rue. Tandis donc que celui-ci y retourne, semble sortir du néant une tête d’enfant, mais Cul n’a pas le temps de comprendre s’il pleure ou s’il rit car tout s’évanouit dans la nuit des temps, ou plutôt, se transforme.


C’est agité, coloré. Une bande de joyeux drilles, une bande de jeunes. -Note de l’auteur : « On est une bande de jeunes et on s’éclate », dirait mon frère-. On y parle fougueusement foot tout en essayant des fringues. « T’as vu, l’Olympic de Sarmeille/ Real de Dramid :35-35 ! » Et une manche de chemise orange en l’air. « Le Danstard est encore bien mal parti, cette année ». Et une jupe à pois rouges qui vole. « Et le transfert de Rhodamana, 1.000.000.000.000.000 €., moi j’dis qu’c’est pas assez ». Et tchic et tchac, et ça bouge.


Mais au beau milieu, un tout petit garçon, haut comme trois noix, triste, écrasé, angoissé. « Tiens, mets ça et ne me dis pas que ça ne te plaît pas», dit son père agressivement en enfilant sans tendresse ce truc sur cette frêle carcasse. « Qui est-ce qui est bien habillé et qui va dire merci à son papa ? » Cul entend le gosse retenir au fond de la gorge un « Mais papa, non ! » ; le petit n’ose pas la révolte, là où, certains, des plus audacieux, auraient déclaré avec l’énergie de leur désespoir « J’suis serré » ! Quand Cul voit ce petit être perdu, la petite tête enserrée dans une sorte de cloche, colorée, certes, mais tellement étroite, étouffante, emprisonnant tout le corps, empêchant tout mouvement, à l’instar d’une camisole de force, son sang ne fait qu’un tour, et ce n’est pas le dernier. « C’est honteux, vous ne comprenez pas tout le mal que vous faites à cet enfant ! Des choses pareilles, et une seule phrase, un seul mot, ça peut traumatiser un être pour sa vie entière. Pensez-y, réagissez, c’est bien mieux que votre foot-fric ». On le voit traverser nerveusement la rue. De dos, grand pantin noir- puissant agitant les bras de gestes désespérés. Mouvements non souples, non coulés, anguleux. Se retournant il les voit tous, alignés, pantois, sur le bord du trottoir.


Il se voit monter l’escalier en colimaçon, dans une obscurité non triste, bienveillante. Il est bien. Dans cette pièce, en haut, dans la partie relativement éclairée, 4 personnes l’accueillent, comme l’attendant. Décidément, oui, Cul se sent bien et, sans doute, la présence de 2 figures féminines n’y est pas étrangère. Pas de physionomie, simplement une plus âgée, avec un fichu sur la tête, une plus jeune, cheveux bouclés. Non, pas de physionomie, mais tout, avec elles, est vibration, harmonie. Une bulle dans laquelle il a pénétré. En face, Cul le reconnaît, par contre, ce Chimel avec qui il se retrouvait dans la fanfare que lui, Cul, a quittée. Chimel y jouait et y joue encore, pense Cul, du bontronne.. Il est donc là, avec cet autre plus en retrait, comme quand, après les répétitions, on boit un verre dans ce petit local crado, là où les conversations vont du plus banal au sublime.

Or Cul se rend compte que ses acouphènes se transforment en musique et demande aux dames si elles entendent aussi de la musique. Elles acquiescent, en expliquant qu’elles sont toujours dans la musique et qu’elles entendent celle des autres ; « car chacun est baigné de sa propre musique » ; ainsi, quand Cul est entré, elles ont perçu la sienne.


Voici que le Chimel prend la parole, avec son patois et son accent, picards, qu’il serait fastidieux de reproduire ici et fastidieux à déchiffrer. Un patois c’est une langue qui se chante, aussi ! Et de déclarer que c’est vrai, t’sais, tout ça. Et que d’ailleurs, quand l’Gus (il montre l’autre) fait ses acrobaties, on dit qu’il prend des risques, mais qu’en fait il ne prend aucun risque, parce que, ces acrobaties, c’est lui-même, c‘est son être. Et Gus d’être d’accord. Chimel poursuit que, tin, t’sais, le docteur Chamin il est aussi convaincu de tout ça, de toute cette magie des ondes. Ainsi, il a même le projet de créer au sol un des immenses cercles, un univers, en quelque sorte, mais qu’il rencontre des problèmes, ajoute-t-il avec fatalité. Le cercle est tellement grand qu’il doit passer sur les terrains des voisins et que…. « i’n’da d’jà qui n’sont pas d’accord ». Ah les gens!


Ainsi me parle Cul de son histoire. Mais tiens, comment expliquer cela ? J’ai vécu exactement la même chose il y a quelques nuits.


© Luc Delvaux



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