
A toi, Roland, l’histoire de ces deux.
Ils vivaient tout au fond de la forêt, dans ce bel arbre encore jeune. Oui, ils vivaient à l’intérieur de ce chêne. Vie heureuse, d’innocence, d’amour intemporel, de douceur et de joie, dans ce flux perpétuel d’échange en harmonie entre le ciel et la terre. Ils buvaient à la sève de l’univers. Il y en avait beaucoup d’autres, ainsi, dans tous les arbres autour.
Mais la hache a frappé, qui leur disait qu’ils avaient l’âge, que leur monde, que cette pure source d’amour n’était pas faits pour durer, qu’il était temps qu’on les prépare à être utiles. Et l’arbre, dans un râle, est tombé.
Ils n’ont rien pu faire, ont senti petit à petit la sève tarir ; l’équilibre bénéfique était perdu. Pendant plusieurs années, comme on fait sécher le bois, ils ont été vidés de leur substance, de leur innocence, par toutes sortes de traitements. On a façonné leur identité, on leur a dit que, bon sang, ce dieu qui passait dans la région, c’était quand-même librement qu’ils l’avaient choisi, on leur a dit qu’ils devaient être les premiers, que de cette façon, ils seraient libres. Qu’ils avaient leur vraie vie devant eux. Ils se sont laissé berner.
Est arrivé enfin le grand jour. Petit-à-petit des mains habilles avaient coupé, séparé, trié, taillé, ciselé pour que de leur arbre, ils apparaissent au grand jour, pour qu’enfin ils se frottent aux riches et aux pauvres.
Mais qu’ ont-elles fait, ces mains expertes, de ces deux êtres ?
Des êtres transparents, fantômes, incapables même de se toucher l’un-l ’autre, de se sentir. Vie résumée à un courant d’air.
Le temps a passé, il ne sait faire que ça. Après qu’ils aient servi ou chez les riches ou chez les pauvres, on les a juste posés là, à être témoins, dans leur silence, du monde pourrissant.
Penses-tu, Roland, qu’ils se leurrent en croyant deviner l’espoir en ces rais de lumière qui les traversent et fendent les lames du plancher ?
© Luc Delvaux 21/11/21
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